UN FIN LIMIER

« Celui qui discerne le bien et le mal a déjà perdu son innocence » Charles NODIER

« Pour l’instant, notre fête de Noël n’a toujours pas son Père Noël ! Le papa qui se dévouait jusqu’à l’année dernière n’a plus sa fille dans notre école maternelle et vous comprendrez bien qu’il préfère être présent dans la nouvelle école de son enfant plutôt qu’ici. »

Juste avant de clore sa réunion de conseil d’école, la directrice, la mine chagrinée, annonça cette mauvaise nouvelle. En dodelinant de la tête d’un air désolé, elle poursuivit en souriant :

« Parmi les mamans présentes il y en aurait bien une qui usera de tous ses charmes pour convaincre son mari ? Vous comprendrez bien qu’une fête de Noël sans Père Noël ; pour les enfants, ce n’est pas une vraie fête de Noël ! »

Un immense sapin décoré de milles boules et d’autant de guirlandes multicolores « faites maison » par les élèves, trônait majestueusement dans un coin de la salle de jeux-dortoir de la petite école communale d’un joli village de notre Drôme de carte postale.

Des petites aux grandes sections, toutes les classes avaient participé à la décoration du lieu. Les larges fenêtres vitrées étaient constellées d’une multitude d’étoiles découpées avec soin dans du papier doré et les murs intérieurs étaient parsemés d’un imposant équipage de bonhommes de neige, ventrus et dodus à souhait. Pendus au plafond, au bout d’un fil de pêche, des sapins en carton peint, de faux flocons en polystyrène expansé et une kyrielle de Pères Noël recouverts de papier crépon rouge bringuebalaient au moindre courant d’air.

Les mines des bouts d’chou étaient radieuses, les maîtresses surveillaient attentivement leurs élèves avec des sourires de satisfaction affichés. Près du sapin, sur une estrade recouverte d’un drap bleu nuit, le fauteuil de la directrice entouré de papier doré avait été apprêté pour recevoir un hôte prestigieux très attendu. L’équipe des enseignantes savait qu’elle avait été entendue. Et du plus petit au plus grand, tout le monde espérait avec impatience le célèbre Père Noël.

Dans l’attente, pour « tenir leur élèves », les maîtresses à l’écart peaufinaient les ultimes répétitions de chants « laïcs » de Noël.

Puis, un lourd bruit de bottes s’imposa dans un silence attentif demandé. L’illustre personnage arrivait enfin. Courbé par une énorme hotte en osier remplie jusqu’à ras bord de paquets bariolés, il entra dans la salle sous les yeux médusés des plus petits qui le rencontraient dans ces lieux pour la première fois.

Après s’être assis confortablement sur le trône réservé, le brave homme à l’imposante barbe nuageuse commença la distribution des friandises et des jouets.

Tout se déroulait dans la plus grande quiétude, quand arriva le tour d’un petit bonhomme de quatre printemps nouvellement inscrit dans l’école. A son attitude, les maîtresses s’aperçurent rapidement que l’enfant semblait préoccupé. Il affichait même une mine renfrognée : impossible de le dérider, d’obtenir le rituel sourire pour l’incontournable photo. L’air effrayé, l’enfant ne resta que le temps de récupérer prestement son cadeau, puis s’assit par terre en considérant le personnage légendaire avec des yeux exorbités.

Il se ravisa, trottina jusqu’à sa maîtresse et lui prenant la main, l’obligea à s’incliner pour lui confier à l’oreille ce qui le perturbait ainsi.

Alors, tout doucement, en catimini, il expliqua :

« Maîtresse, Maîtresse, le Père Noël, c’est un voleur, il a volé la montre et les bottes de mon papa !

Ce n’est que quelques courtes années plus tard, lors de son passage au CP dans « l’école des grands » que notre fin limier en herbe comprit que ce méchant Père Noël avait encore beaucoup plus de choses personnelles appartenant à son papa.

Joyeux Noël.