ON A VOLÉ LA HOTTE DU PÈRE NOËL

« La façon de donner vaut mieux que ce que l’on donne » Pierre CORNEILLE

On dit que la justice est aveugle. Mais, ne serait-ce pas plutôt l’injustice qui l’est, car elle s’acharne souvent sur les plus démunis ?

Assis à son bureau devant un surprenant personnage qui gesticulait, là, debout devant lui, un gendarme moustachu retenait difficilement un méchant rire prêt à éclater.

Il était une fois, un jeune garçon qui était si démuni que tous ses camarades de classe l’avaient “affublé” d’un vilain sobriquet. Dans tout le village, à qui voulait l’entendre, tous les gosses de son âge, presque sans exception, expliquaient en se moquant de lui qu’il n’avait jamais de quoi jouer, jamais de quoi lire et surtout, jamais de quoi manger, ni aux récréations, ni aux différentes sorties scolaires.

Alors, par méchante dérision, ils l’avaient surnommé “Jamais de quoi”.

Souvent seul, dans un coin de la cour de l’école, le pauvre gamin regardait avec envie ses camarades s’amuser, sans oser, sans pouvoir se joindre à eux.

Quel que soit le jeu collectif proposé, la plupart des “chefs de bandes” ne voulaient surtout pas associer “Jamais de quoi” à leur groupe. Pour eux, il donnait l’impression d’amoindrir l’équipe : il dépareillait. Certains disaient même qu’il apportait la poisse.

Mais, ce matin, veille des vacances de Noël, il paraissait en être tout autrement.

En effet, à l’abri du regard vigilant de la maîtresse de service de cour, derrière l’imposant mur des W.C., tous les gamins de la classe de “Jamais de quoi”, garçons et filles confondus, se bousculaient fébrilement autour de lui.

Subitement, notre paria semblait être devenu très intéressant. Pour une fois, il avait enfin quelque chose à distribuer ; et même, en quantité importante.

D’ailleurs, tous ces nouveaux camarades opportunistes trépignaient et se pressaient les uns contre les autres sur la pointe des pieds, en tendant des mains implorantes vers leur généreux donateur.

Il faut dire qu’aujourd’hui, le pauvre gosse était aussi déconcertant que le plus étonnant des magiciens.

En effet, des grandes poches de son tablier gris rapiécé, il sortait l’une après l’autre, d’énormes papillotes multicolores qu’il distribuait à ses camarades avides. Et, cette impressionnante nouvelle prolixité pouvait aller, parfois, jusqu’à satiété.

Le malheureux minot n’avait jamais connu autant d’allégeance et son triste sourire du moment trahissait la joie surfaite de celui qui connait l’inconstance des gloires éphémères.

En l’instant, dans cette juvénile assemblée, personne ne se demandait pourquoi et comment “Jamais de quoi” avait fait pour être tant pourvu en si avantageuses friandises.

Tous profitaient goulûment de l’aubaine et la plupart commençait à trouver leur petit camarade beaucoup moins dépareillant.

Dans la gendarmerie de ce chef-lieu de canton de notre Drôme pittoresque, la barbe de travers, le capuchon retourné et les cheveux tout en bataille, un étrange père Noël bien éméché bredouillait avé l’accent local, son incontrôlable emportement devant un représentant de la force publique de plus en plus hilare :

  • Brigadier, Brigadier, vous…vous comprenez, le, le bar était trop plein. Alors, alors, je je j’ai posé ma hotte devant la porte, croyant que ; et puis, pffft , quand je suis ressorti, plus rien et oui pffft , plus rien. Brigadier, plus de hotte, plus de papillotes, plus rien de rien et puis voilà, je suis là devant vous…. Le comité des fêtes ! Vous…vous comprenez Brigadier ; le comité des fêtes ! C’est…c’est lui qui m’avait demandé. Et puis là, maintenant ….pffft … plus rien !

A présent, tout décontenancé, sans rien dire, le pauvre bougre secouait la tête de haut en bas comme ces anges de Crèche-tirelire qui remercient de l’aumône à chaque pièce reçue.

  • Vous comprenez, Brigadier, le comité euh ! Termina-t-il d’une voix presque éteinte.

Levant tranquillement la main droite, le débonnaire représentant de la force publique qui connaissait bien le « ci devant », répliqua calmement en souriant :

  • Ne vous faites pas tant de soucis monsieur, vous savez, moi, je suis pratiquement certain que quelqu’un a déjà dû les distribuer à votre place, vos papillotes du comité des Fêtes et que vous allez bientôt retrouver votre hotte. Ce n’était qu’un banal vol à la roulotte, pas bien méchant, si vous me permettez le vilain jeu de mots : « roule hotte » !

Pour Noël, vous savez, les voies du Père Noël sont parfois aussi impénétrables que celles du Seigneur !

Effectivement, très tôt le lendemain matin, une grande hotte en osier, toute vide, attendait mystérieusement l’ouverture du fameux et incontournable « bistrot » du village, à la même place où elle avait été volée.

Le directeur d’école avait déjà depuis longtemps averti la gendarmerie…

Pour les punitions …vu les circonstances : on fermerait les yeux…n’étions-nous pas proche de la fameuse trêve des confiseurs ?

Dites-moi les amis, elle n’est pas belle la vie de nos villages ensoleillés de la France profonde ?